
Action contre la Faim dirige la prévention du choléra dans les zones les plus touchées par l’épidémie. Photo : Christophe Da Silva pour Action contre la Faim
Mardi 12 janvier 2010 — un tremblement de terre de magnitude 7,0 secoue Haïti. En quelques secondes, une grande partie de l’île est détruite. Plus de 3 millions de personnes sont touchées ce jour-là par le tremblement de terre. Mais cette catastrophe ne marque que le début de nombreuses difficultés auxquelles devra faire face la population haïtienne dans les années qui suivront.
Trazillio Mazard, un technicien de laboratoire qui travaillait pour Action contre la Faim, se souvient avoir visité un centre de santé où six personnes sont mortes du choléra en une seule journée. Il se rappelle avoir travaillé avec un collègue pour désinfecter des maisons. Deux jours plus tard, l’épidémie a également pris la vie de ce collègue.
Le choléra est apparu en Haïti pour la première fois quelques mois seulement après le tremblement de terre dévastateur de janvier 2010. Au début, on en connaissait peu sur cette maladie mortelle à action rapide.
« Nous étions si vulnérables parce que nous étions si ignorants », dit Trazillio.
L’un des principaux moyens de propagation de la maladie bactérienne est l’eau contaminée. C’est pourquoi on rencontre souvent la maladie au cours de crises humanitaires, lorsque les systèmes d’assainissement et de santé s’effondrent. L’épidémie a exacerbé les faiblesses existantes des systèmes de santé haïtiens et ce manque de capacité et d’expertise locale pour combattre une épidémie majeure a conduit à une panique généralisée.
Le choléra se propage rapidement, paralysant l’accès à l’eau potable, à un assainissement adéquat, aux services de santé et à l’éducation. Les populations en Haïti ont associé la maladie à leur milieu de vie et, désespérés de fuir, ils se sont déplacés dans différentes régions et ont transporté la bactérie dans d’autres communautés.
Entre 2010 et 2018, on a recensé plus de 800 000 cas suspects et près de 10 000 décès dus au choléra en Haïti.
Une session d’éducation à l’hygiène est organisée par le personnel d’Action contre la Faim. Photo : Christophe Da Silva pour Action contre la Faim
« Beaucoup de gens pensaient que le choléra était le résultat de la sorcellerie et qu’ils ne pouvaient rien faire pour se protéger », dit Véline Sévère, responsable du département Eau, assainissement et hygiène (EAH) d’Action contre la Faim en Haïti. Peu à peu, ils ont compris qu’il s’agit d’une « vraie maladie » et qu’ils peuvent se protéger en adoptant de meilleures pratiques d’hygiène ».
Heureusement, les communautés haïtiennes sont maintenant mieux préparées à prévenir les cas et à faire face rapidement à toute nouvelle épidémie. Leurs efforts massifs pour éliminer la maladie, ainsi que le dévouement des autorités locales, d’Action contre la Faim et d’autres partenaires, portent leurs fruits : le dernier cas confirmé de choléra dans le pays a été détecté en février 2019. Si le pays reste trois ans sans nouvelle infection, l’épidémie sera considérée comme officiellement éradiquée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
« Nous n’avons pas la même crainte, car nous sommes armés de connaissances », dit Trazillio, qui est maintenant chef de projet pour le choléra à Action contre la Faim. « Je suis convaincu que nous pouvons éradiquer le choléra avec les connaissances et les outils dont nous disposons maintenant. Quand tout sera terminé, ce sera un énorme accomplissement — un rêve qui deviendra réalité ».
Une approche évolutive
Depuis le début de l’épidémie en 2010, Action contre la Faim, avec l’aide de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), a dirigé les efforts d’éradication dans les régions du Nord-Ouest et de l’Artibonite, où la population a été la plus touchée par l’épidémie. Au début, chaque fois qu’un nouveau cas était signalé, nos équipes se concentraient sur la « distribution massive de fournitures » : équiper le plus grand nombre de personnes avec les outils nécessaires pour prévenir la propagation du choléra. Nous avons distribué des kits d’hygiène contenant des produits de traitement de l’eau, du savon et des sels de réhydratation orale à tous les ménages des communautés à haut risque et organisé des sessions d’éducation pour encourager le lavage des mains, améliorer l’assainissement et apprendre aux gens comment traiter l’eau à la maison.
« Au début, j’avais peur. J’étais choquée de voir des enfants mourir dans les centres de santé — j’avais l’impression de ne pas pouvoir faire assez pour les aider. Les gens étaient tellement paralysés par la peur qu’ils avaient peur de se toucher les uns les autres. Il y avait tant de questions sur la façon d’y faire face. Nous avons rapidement créé du matériel de formation pour sensibiliser les gens sur la façon dont elle se transmettait afin d’apaiser la peur ».
– Véline Sévère, responsable du département EAH d’Action contre la Faim en Haïti
En 2014, avec le ministère de la Santé Publique et de la Population d’Haïti (MSPP) et l’UNICEF, nous avons mis en place un système de surveillance, d’enquête et d’alerte dans le Nord-Ouest et l’Artibonite. Nos équipes d’intervention rapide ont été chargées de répondre à tous les cas suspects dans les 48 heures. Nous avons commencé à adopter une approche plus ciblée : nous avons mis en place des cordons sanitaires pour enquêter sur les cas suspects, distribuer des kits d’hygiène, désinfecter les espaces et les points d’eau et poursuivre les efforts d’éducation. Nous avons également installé des stations de décontamination pour sécuriser les sources d’eau dangereuse.
Au cours de la dernière décennie, nos équipes ont appris de leurs erreurs et se sont adaptées. En 2014, il y a eu un cas suspect au Bassin Bleu dans la région du Nord-Ouest, mais les autorités sanitaires des environs n’ont pas été alertées à temps, ce qui a conduit à une épidémie. Nous avons réalisé que les responsables locaux n’étaient pas immédiatement impliqués dans la réponse et ne partageaient pas systématiquement les informations sur les cas.
Pour remédier à ce problème, nous avons mis en place un réseau de relais communautaires et formé plusieurs agents locaux à la surveillance épidémiologique. Maintenant, grâce à une capacité et à des compétences locales plus solides, les alertes sont fournies et on y répond dans les 48 heures, même dans les collectivités éloignées. L’UNICEF — un de nos principaux donateurs — a constaté une amélioration de l’efficacité dans les zones où nous travaillons et a consacré des fonds supplémentaires pour soutenir le réseau de relais communautaires.
Un membre de l’équipe d’Action contre la Faim désinfecte une maison après qu’un cas présumé de choléra ait été signalé. Photo : Christophe Da Silva pour Action contre la Faim
Aujourd’hui, l’approche d’Action contre la Faim pour lutter contre le choléra et d’autres maladies hydriques est connue sous le nom de Technique de L’Épée et du Bouclier. Elle vise à la fois à arrêter la propagation potentielle de nouvelles épidémies et à maintenir les efforts de prévention dans les communautés vulnérables.
Plus vite nous réagissons aux cas suspects, plus nous avons de chances d’arrêter la propagation de l’épidémie. C’est pourquoi nos équipes d’intervention rapide visent à répondre aux appels d’alerte dans les 24 heures, 80 % du temps, et dans les 48 heures, 95 % du temps. De plus, maintenant que des cordons sanitaires sont établis autour du domicile d’un cas suspect de choléra et de vingt de ses voisins, les équipes de réponse rapide se transforment en équipes d’engagement communautaire, qui encouragent l’adoption de meilleures pratiques d’hygiène.
Un aspect novateur de notre programme comprend un projet de recherche visant à trouver des produits de traitement de l’eau à l’échelle locale. À présent, un grand nombre de produits utilisés pour prévenir les maladies d’origine hydrique, comme les comprimés de chlore, sont fournis gratuitement dans le cadre de programmes d’aide internationale. Pour stimuler les marchés locaux et garantir la durabilité, nos équipes évaluent la viabilité du marché local des produits de traitement de l’eau en interrogeant les membres de la communauté pour comprendre à quel prix ils seraient prêts à acheter ces produits, à les offrir à un prix raisonnable et à promouvoir les ventes.
Une session de sensibilisation organisée dans un marché local. Photo : Christophe Da Silva pour Action contre la Faim
« Maintenant, on a l’impression de voir la lumière à la fin », dit Véline. « Nous n’avons plus peur, car nous sommes prêts à faire face à cette situation et nous pouvons voir la différence que nous faisons dans les communautés ».
Cependant, alors même que des progrès ont été réalisés dans la lutte contre le choléra, l’attention internationale sur Haïti et son épidémie a diminué, tout comme le financement nécessaire pour maintenir le travail de prévention et pour s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’épidémie. En plus, les troubles politiques récents ont fermé les routes et bloqué l’accès aux communautés, limitant la capacité de nos équipes d’intervention rapide à se mobiliser rapidement lorsque des cas suspects sont signalés.
« Nous pouvons éradiquer ce fléau en Haïti, mais il n’est pas inconcevable de dire que la lutte contre le choléra pourrait s’arrêter maintenant, car nous sommes proches de l’éradication, par manque de financement », dit Cédric Piriou, directeur de pays d’Action contre la Faim en Haïti. « Avec tous les progrès que nous avons réalisés contre cette épidémie, il est plus important que jamais de maintenir notre travail pour améliorer l’assainissement et l’hygiène, pour fournir un accès sûr, abordable et fiable à l’eau potable et pour empêcher le choléra de réapparaître ».